Un matin de décembre, Julien (5 ans en Grande Section de maternelle) arrive en pleurant trainé par sa mère tout rouge, en furie… Après un très bref salut elle explose:
– Mais dites-lui qu’il faut qu’il aille chez le médecin !!!
Surprise, je me demande bien ce qui se passe. Je me tourne vers Julien:
– Que se passe-t-il Julien ?
– ..a….o..
Il sanglote, je ne comprends rien. Je précise que Julien s’exprime très bien. La mère prend la parole :
– Et bien voilà !! Depuis ce matin, il me parle de sa porte !! Il a été malade toute la nuit. J’ai pris un jour de congé et il veut absolument venir pour sa porte !! Je suis venue à l’école pour sa soeur. Dites-lui que vous fermerez sa porte même s’il n’est pas là !
Julien pleure de plus belle après les mots de sa mère. Moment délicat : je dois donner raison à la mère mais tenir compte de Julien, responsable de la porte devant le groupe.
– Julien, tu es malade. Ta mère est inquiète, elle va t’emmener chez le docteur. Quelqu’un fermera la porte à ta place. Tu retrouveras ton métier quand tu seras guéri.
– Y a pas de remplaçant ! (Pleurs de Julien)
– Effectivement, tu as raison. Il faudra en trouver un au prochain conseil. Madame, à quelle heure avez-vous rendez-vous chez le médecin ?
– A 11h30.
– Peut-être pouvez-vous laisser Julien en classe et venir le chercher à 11h. Nous réglerons ce problème de porte avec Julien. (M’adressant à Julien) Julien, si tu restes pour faire ton métier, tu ne dois pas faire de problème à 11h lorsque ta mère vient te chercher et tu restes chez toi cet après-midi.
– Oui, oui, oui.
Hummm… J’ai parlé un peu vite, comme cela m’arrive parfois. Je regarde la mère.
– Mais j’ai pris ma journée pour lui !
– Et bien vous aurez deux heures pour vous. Qu’est-ce qu’il a Julien ?
– Je ne sais pas. Il avait 38,5 de fièvre ce matin. Je lui ai donné un médicament.
– Etes-vous d’accord pour le laisser à l’école jusqu’à 11h ?
– …
– S’il y avait le moindre problème, si la température de Julien montait à nouveau, bien sûr, je vous appelle de suite.
– Bon. Je viens à 11h. Et toi, tu ne fais pas la comédie quand j’arrive !
Julien ne répond pas. Il regarde déjà les copains.
– Ne vous inquiétez pas ! Je vais lui rappeler.
Nous trouverons un remplaçant pour le métier de porte. Ce sera Edgar. Julien va lui expliquer comment on pose la cale sous la porte (uniquement quand elle est ouverte !). Julien ne fera pas de problème lorsque sa mère reviendra. Il sera absent deux jours. A son retour, il ira questionner Edgar :
– T’as bien fait le métier ?
– Oui.
Julien, satisfait, partira jouer avec les copains.
Même si cela y ressemble, les métiers ne sont pas les services que l’on rencontre dans beaucoup de classes.
« L’école est obligatoire : la présence physique des enfants n’a pas de signification particulière. Combien sont vraiment là avec leur désir ? (…). Or rien ne se fait sans désir. Ils n’entreront en classe que lorsqu’ils sauront sur quel pied danser, quand ils sauront ce que les autres attendent d’eux (rôles) et ce qu’ils sont en droit d’attendre des autres (statuts). Quand ils auront une fonction définie, une responsabilité, peut-être se sentiront-ils membres d’un groupe. Alors, et alors seulement, on pourra parler de groupe coopératif. Donc 26 métiers à trouver. » (Catherine Pochet, Qui c’est l’conseil, p.53.)
« 26 métiers à trouver ». Ca pourrait paraître irréaliste … 26 vraies fonctions dans une classe ? Comment les trouver ou plutôt les inventer !
Fernand Oury raconte le métier de Henri :
Henri, brave petit débile, adore la craie. Il ramasse et collectionne les bouts de craie. Quand on marche sur un bout de craie, il est tout triste. Henri sera responsable des craies, qu’il mettra dans une boîte à craies et, à l’occasion, distribuera aux usagers. L’affaire arrive au Conseil qui ratifie.
Plus tard, il triera les morceaux de craie : d’un côté ceux qui mesurent plus de un centimètre, qu’il range. De l’autre, ceux qui mesurent moins de un centimètre, qu’il garde pour lui ou qu’il donne.
Le rôle du petit Henri est précisément défini. Il entre dans la classe par la boîte à craies. En tant que responsable, un petit peut faire la loi à un grand. Plus tard, Henri demandera un métier plus difficile et cédera les craies à des débutants.
Quelques métiers
Tout ce qui concerne le rangement (plutôt pour les petits) : les feutres, la pâte à modeler, le papier, les bouts de bois, les jeux de société, le matériel de lecture (étiquettes, fiches), le matériel de mathématiques, de sport, de musique, …
Des métiers pour des plus grands : arroser les fleurs, effacer le tableau, nettoyer à l’eau le tableau, ranger la table d’exposition, étiqueter les objets de la table d’exposition, sortir et ranger les peintures, installer l’atelier peinture, nettoyer les pinceaux, ranger les caractères d’imprimerie, la lumière de la classe le matin et le soir, ranger la bibliothèque, …
Quelques métiers pour les grands : le facteur (peut circuler seul dans l’école porter des messages au directeur et aux autres classes), organiser le prêt de livre, le trésorier de la coopérative (dans les grandes classes, vaut mieux un enfant qui sache compter et lire un tableau), le hamster, …
Organisation
Les métiers sont décidés au conseil. On ne change pas de métier chaque jour. De la même manière qu’il faut un peu de temps pour devenir maîtresse, chaque métier s’apprend, se peaufine. Mais… la répétition c’est la mort… On peut donc changer de métier. Un conseil spécial est prévu, environ une fois par trimestre. En dehors de ce conseil spécial, on peut parler des métiers aux autres conseils (s’il y a des problèmes avec un métier par exemple)
Attention tous les métiers ne sont pas échangeables : on n’échange pas les craies contre la trésorerie. C’est là qu’apparaît la notion de compétence. N’importe qui ne peut pas et ne sait pas faire n’importe quoi.
Un tableau de métiers récapitule tous les métiers. Il symbolise la place de chacun dans la classe : chaque enfant a demandé son métier.
Attention à prévoir un moment métier dans l’emploi du temps surtout pour les métiers qui se font le matin ou le soir : ranger les cartables dans le couloir, faire l’appel, la cantine, …
Les métiers, institution ajustée pour chaque classe, de la maternelle au CM2
Les métiers ne sont pas un nouveau gadget pédagogique : il s’agit simplement d’une distribution des tâches, d’un partage du pouvoir dans un groupe d’enfants égaux en droit.(René Laffitte)
Les métiers arrivent au conseil et permettent des points d’organisation qui contrebalancent les critiques et font “avancer” la classe. C’est la prise en compte des détails quotidiens qui fait que la classe coopérative fonctionne ou non.
Nous n’inventons pas des métiers : ce sont les nécessités du travail et de la vie commune qui les amènent. Le métier n’est pas un service, une faveur, c’est une responsabilité.
Une pédagogie basée sur le Désir. Désir profond des participants d’être là, d’être à leur affaire, à leur travail. Ce qui permet aux élèves et aux maîtres d’être en classe autrement que comme des figurants obligatoires suppose des investissements libidinaux et leur sublimation dans le travail et le langage grâce à des institutions adéquates. (Oury, Fernand, Vasquez, Aida. De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle. P. 685)
Voir la vidéo sur les métiers ICI
J’ai utilisé les métiers pendant 32 ans, en maternelle, en élémentaire.
Ça vous tente ?
Dans un livret-formation, je vous partage cette expérience.
Qu’allez-vous trouver
dans ce livret de 24 pages ?
du pratique
du concret
des fiches-guides
Pas de bla bla
Ce que sont les métiers
Comment je les mets en place (en maternelle, en élémentaire)
Comment ils permettent
de dynamiser la classe
Tout un programme !
Ce livret pour 13 euros.
Voir la boutique 🙂
Bonjour Isabelle
Très intéressant la notion de métier. C’et un sujet très instructif, et il permet je trouve de penser aux compétences de chacun.
Je reviens sur le fait que lorsque l’on a choisi un métier, on ne peut pas changer.
Je ne suis pas d’accord.
Cela bloque l’initiative et la découverte. Je pense au contraire que si l’enfant souhaite changer, c’est lui qui décide.
S’il veut changer de métier (que l’enseignant-e sait pourtant qu’il n’est pas bon dans ce métier), il faut le laisser tester, essayer, échouer (ou pas on peut être surpris par une nouvelle compétence qu’il a enfouis) et réessayer.
A cet âge là, ils sont encore plein de ressources, ne les bloquons pas.
A plus tard
Evan
Merci Evan de ton commentaire. Je me suis mal fait comprendre: on peut changer de métier mais pas tous les jours. Un minimum de temps est nécessaire pour apprendre le métier. Si l’enfant a un problème à faire son métier, c’est discuté au conseil (qui a lieu deux fois par semaine): qu’est-ce qui cloche ? Est-ce un problème d’organisation ? Un problème de compétence de l’élève ? Comment peut-on l’aider à faire correctement son métier ? Etc. Si vraiment après plusieurs tentatives l’enfant n’y arrive pas, alors le métier est donné à un autre et l’élève trouvera un métier qui lui convient mieux.
bonjour, je suis débutante PES en maternelle arrivée un peu tard, le 22 septembre en PS/MS. Je trouve cette idée de métiers très intéressante. Je leur propose aussi des métiers mais j’en ai seulement 5. Comment faites-vous pour en trouver 26, je suis épatée. Pouvez-vous me donner des exemples de métiers sachant que par exemple la pâte à modeler je n’en fait pas systématiquement toutes les semaines alors celui qui aura ce métier le fera moins souvent que celui qui est de rideaux par exemple. Comment gérer cela?
Merci
Vanessa
Bonjour,
Effectivement certains métiers se font moins souvent que d’autres. Les enfants peuvent alors avoir deux métiers 🙂 Oui, oui, je vous entends … Il va falloir trouver encore plus de métiers. Les enfants vont en trouver (parfois les métiers vont compliquer la vie de la classe. Mais c’est bien car il va y avoir discussion au conseil).
D’autre part, après un temps (un mois, deux mois en fonction de la classe), les enfants vont changer de métier. Celui qui a eu un métier qui ne se fait pas souvent sera prioritaire pour avoir un métier qui se fait quotidiennement.
Exemple de métiers :
– arroser les plantes (pas tous les jours :)). Il faudra expliquer au conseil pourquoi 🙂
– ranger les legos, les différents jeux, les blouses, les crayons, … Pour tous ces métiers de rangement, attention 🙂 Celui qui a un métier de rangement vérifie que tous les légos sont dans la boite, qu’aucun ne traine par terre. C’est lui qui prend la boite et va la ranger au bon endroit. Il ne s’agit pas de ranger à la place des autres. Il est chargé de sortir le jeu quand on en a besoin.
– distribuer et ramasser les cahiers, les ciseaux, la colle, les feuilles, …
– nettoyer les tables, les pinceaux, … Tout se nettoie à l’eau et avec éventuellement du savon. l’atsem ou la dame de ménage nettoiera plus à fond le soir. Les enfants adorent et l’idée est aussi que ce n’est pas grave de salir : il suffit de nettoyer. IL ne s’agit pas non plus d’encourager à écrire partout ou à tout salir 🙂
– effacer le tableau : métier de grand. il faut demander à la maîtresse si on peut effacer et éventuellement s’il y a des choses à ne pas effacer, bien les repérer.
– taper les brosses si vous avez la chance d’avoir encore un tableau à craies. Métier de grand car il faut sortir dans la cour.
– chef de rang: quand on se déplace dans les locaux ou dehors, deux enfants sont en tête qui savent écouter et obéir 🙂 quand la maîtresse dit de s’arrêter ou d’avancer.
– responsable de la table d’exposition (voir l’article sur le blog sur la table d’exposition)
– la porte : ouvrir et fermer
– la date le matin
– ranger les étiquettes des prénoms le soir
– compter les cartes de cantine pour savoir combien d’enfants mangent à la cantine: métier de grand en numération. Au début se fait avec l’aide d’un adulte.
– ranger la bibliothèque le soir
– responsable des objets trouvés : les montre à la classe en fin de journée.
Au fur et à mesure de la vie de la classe, des métiers vont apparaitre. Une fois que les enfants ont compris la notion de métier, de responsabilité, ils vont en trouver plein. Parfois trop à notre goût 🙂