Supprimer le Nesquik !
Vendredi matin, 8h35, j’ouvre les portes.
David, 4 ans, est sur la rampe de l’escalier qui mène à l’école. Sa mère est à côté de lui. Il me regarde.
« David, descends de la rampe, tu sais que c’est interdit. » Le ton que j’emploie n’admet pas de réplique. David descend et se met à courir dans tous les sens. « David, tu ne rentreras en classe que lorsque tu seras calme. Pour l’instant, tu t’installes sur le banc dans le couloir. » David fonce sur le banc. J’entends la mère : « Mais c’est le Nesquik qui le met dans cet état le matin !
– Madame, arrêtez le Nesquik … »
Je le dis très gentiment. La mère me regarde un peu surprise. Je ne m’attarde pas, je rentre en classe où plusieurs enfants sont déjà en train de lire ou de jouer. Quelques secondes plus tard, David entre, choisit un livre et s’assoit sur le banc.
« Mon chéri, je n’ai pas le temps de te le lire ! A ce soir !
Et elle embrasse son chéri sur la bouche.
– Au revoir madame Robin.
– Au revoir madame Leduc. Bonne journée ! »
Je ne me moque pas de cette mère que je sais par ailleurs en détresse. Mais que pouvais-je lui dire d’autre que « Arrêtez le Nesquik » ? Elle et moi savons bien que le Nesquik n’y est pour rien. Je réponds à brûle-pourpoint. La mère ne m’en veut pas. Son « au revoir » sonne comme un « merci. »
Contre les parents, on ne peut rien.
“Contre les parents, on ne peut rien. Sans les parents, on peut agir un peu. Avec les parents, on peut tout« , disait Fernand Oury
Chaque année, j’organise une réunion de parents en septembre afin de leur présenter la classe, son fonctionnement et les projets. Depuis que je suis en petite section, je l’organise le jour de la rentrée pendant que les enfants sont occupés en récréation avec des vélos, pelles, seaux, …
Une « réunion bilan » a lieu en juin avec une projection de photos présentant les moments forts de l’année ainsi que le quotidien.
Sur rendez-vous, je reçois les parents individuellement, une fois par an ou plus si c’est nécessaire. A ce moment-là, nous prenons le temps de parler. Ces rendez-vous ne se font pas en présence de l’enfant. Si un fait important pour lui apparaît au cours de l’entretien et si les parents ne souhaitent pas en parler seuls avec lui à la maison, nous fixons alors un autre rendez-vous où l’enfant sera présent.
Par ailleurs, je vois les parents chaque matin. Des échanges peuvent avoir lieu sur le « seuil », une espèce de terrain neutre où les parents peuvent donner des informations sur leur enfant, l’institutrice sur l’enfant devenant élève.
L’école des parents
« Mais comment vous faites pour qu’il vous obéisse ? Je peux toujours lui dire d’arrêter de courir dans le couloir, il ne m’obéit pas.
– Moi, c’est pareil. Et quand je vois qu’il a comme métier de ranger les livres. Il ne veut pas ranger à la maison! Vous verriez sa chambre !
– Mesdames, ce n’est pas magique. C’est l’organisation de la classe. Ça ne peut pas être pareil à la maison. Et les enfants se comportent souvent différemment à l’école et à la maison.
– Oui, mais quand même ! Moi, quand je lui dis non, j’ai droit à une crise. Et pas vous.
– Et bien, on pourrait en discuter mais pas maintenant.
– Oh oui, ce serait bien ! »
Il est 9 heures du matin. Je dis au revoir aux mères. La classe commence. Nous sommes début novembre. Les enfants de GS entament une deuxième année avec moi. Je connais les enfants et les parents. Ce n’est pas la première fois que les mères font de telles remarques. Je ne peux y répondre le matin et je songe depuis quelques temps à organiser une réunion autour de ces questions mais il faut trouver la forme, le moment.
Début décembre, je distribue ce mot aux parents :
Chers parents,
Je vous propose un moment de discussion autour de la lecture en GS samedi 10 décembre de 9h à 10h dans la classe. Les enfants y seront accueillis et joueront calmement.
Le samedi 10 décembre, autour d’un café et de petits gâteaux, 12 familles sur 25 assistent à la réunion. Je présente le travail de lecture en GS avec des photos et des cahiers d’enfants. Les questions fusent :
– Vous faites lecture tous les jours ?
– Ils y arrivent tous ?
– Est-ce qu’ils vont apprendre à lire cette année ?
– Est-ce que c’est important qu’ils connaissent toutes les lettres ?
– …
Puis vient la remarque :
– Moi, quand je veux le faire lire à la maison, il ne veut pas.
Je me contente alors de donner la parole et les parents la prennent :
– Moi, j’ai le même problème.
– Il m’a dit que je n’étais pas la maîtresse.
– Moi, j’ai trouvé un moyen : elle me raconte comment la maîtresse fait.
– Moi, je me demande bien comment vous faites justement pour vous faire obéir. Regardez les ! Ils sont calmes, ils jouent et nous écoutent.
La discussion continue. J’interviens très peu, rappelant juste que « l’école, ce n’est pas la maison », « quand on fait quelque chose avec ses enfants, on fait ce qui nous semble le mieux sur le moment. » Au bout d’une heure, je clos. Les parents sont enchantés et me demandent si je ferai une autre réunion. Je dis que ce sera possible.
Chaque mois, j’en organise une avec un « thème ». Au début, les sujets sont très centrés sur les apprentissages : l’écriture, les mathématiques, puis, peu à peu, ils relèvent plus de « l’éducatif »:
– Mon enfant me dit non, qu’est ce que je fais ?
– Mon enfant regarde trop la télévision.
– La sieste, est-ce utile en maternelle ?
– Mon enfant veut savoir comment on fait les bébés.
Chaque fois, c’est un moment d’échanges et non une leçon aux parents. Il m’arrive aussi d’inviter la psychologue scolaire. J’affiche des articles de journaux dans le couloir et conseille des livres.
J’explique aussi lors de ces réunions les règles des jeux que nous utilisons en classe. Ces jeux partent régulièrement dans les maisons le soir
Une année, en juin, lors de la dernière réunion, la mère de Ralf conclue :
« On allait aussi à l’école le samedi matin. C’était bien l’école des parents ! »
Les parents ont toute leur place à l’école mais c’est vite fait de se laisser déborder : c’est pourquoi, la réunion est fixée dans le temps, avec une heure de début et une heure de fin. Elle est régulière. Ainsi, au cours de l’année, au moins une fois, chaque famille participe à la réunion. Certains parents sont silencieux mais je vois à leurs yeux, à leurs réactions qu’ils écoutent, qu’ils participent. Comme en classe, au quoi de neuf, au conseil ou dans tout lieu de parole, des lois sont nécessaires pour que la sécurité s’installe et que chacun puisse s’exprimer. Même si les parents sont surpris au départ, tous acceptent les lois minimales : je ne me moque pas, j’écoute celui qui parle, je demande la parole, ce qui s’entend ici ne se répète pas ailleurs. Au fil des réunions, les parents comprennent l’importance, le sens de ces lois.
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Partager, c’est agir 🙂
Bonjour Isabelle
J’ai beaucoup apprécié ton article.
Pouvoir échanger avec une personne d’autorité qui connaît déjà les enfants est tellement rassurant.
En tant que papa patron, je me permets une remarque : tu ne parles ici que des mères.
Mais il y a des pères qui emmènent aussi leurs enfants à l’école, il y a des pères qui se posent des questions.
Je suppose que tu n’as pas cherché à mal faire en parlant des mères, cependant, je me devais te l’évoquer. 🙂
Concernant le fond de ton article : pouvoir échanger l’instituteur/trice est essentiel pour moi, et pas qu’une fois en fait.
Pas que pour les conseils, mais aussi pour avoir le point de vue du maître/maîtresse d’école qui apprend des choses (essentielles) à notre enfant.
Qui plus est, pour avoir cette étape tous les mois / 2 mois serait un luxe, mais tellement appréciable.
J’imagine alors l’organisation qu’il faudrait pour vous les enseignants.
Au plaisir
Evan
Merci Evan pour ton commentaire. Bien sûr que les pères doivent être présents dans l’éducation des enfants. Dans mon article, je parle bien des parents, des familles ? Lors des entretiens individuels, je demande que les deux parents soient présents (si possible).