L’école sera sur mesure ou ne sera pas. Fernand OURY
Chacun à son rythme, chacun à ses niveaux
Tous les enfants ne marchent pas à 10 mois mais tous courent à 5 ans. C’est la même chose pour la lecture, l’écriture, pour tous les apprentissages scolaires ou autres.
Facile à dire dans un monde où l’évaluation est au centre des apprentissages, au centre de la vie de chacun. L’évaluation tend à être utilisée pour savoir dans quelle mesure l’individu est dans « la » norme. Le hors-norme devient vite suspect. Le cahier de réussites peut être mis en place dans une classe où un milieu éducatif riche est créé et où l’essentiel de la vie scolaire des enfants ne se résument pas à « faire de la fiche ».
Pourquoi un cahier de réussites ?
Tenir compte de la singularité de chacun, du rythme de chacun, faire que chaque élève, chaque enfant apprenne et grandisse. Chaque élève est différent. La classe homogène est un doux rêve. Si l’enseignant donne à tous la même soupe, certains auront trop, d’autres pas assez. Comment faire pour que chacun travaille à son rythme et à son niveau en faisant travailler les enfants ensemble et éviter l’émiettement du travail individualisé ? Fernand Oury répond en inventant les ceintures de couleurs. Je les ai utilisées en élémentaire. Il est difficile de les utiliser en maternelle surtout en PS, en MS et en début de GS.
Toutes les activités sont susceptibles de « faire progresser » un élève. Elles peuvent donc toutes apparaître dans le cahier de réussites.
Le principe
Noter les réussites de l’enfant dans un cahier/carnet. C’est l’enfant qui choisit la réussite à noter. Parfois elle nous surprend : Paul a absolument voulu que la réussite « J’ai marqué un but quand on a joué au foot » soit notée dans son cahier… Pourtant cette semaine-là, il avait réussi à écrire, pour la première fois, son prénom …
Un exemple : les métiers
Extrait d’un moment de classe
Bruce a 5 ans et 4 mois. Il est en grande section. Il demande au conseil le métier des cahiers d’écriture : distribuer les cahiers quand on en a besoin puis les ramasser. Nous sommes en janvier. Ces cahiers viennent d’apparaître. Pour l’instant, c’est moi qui les distribue. Discussion au conseil : comment fait-on ce métier ? Qu’est-ce qu’il faut savoir pour faire ce métier ? Les enfants sont maintenant habitués. Pour chaque nouveau métier, nous faisons une petite fiche récapitulant les tâches à faire pour ce métier et quelles compétences il faut avoir pour le faire.
Une fois que nous avons déterminé ces critères, nous étudions la proposition de Bruce qui veut faire le métier.
– (Moi) Bruce, penses-tu que tu peux faire ce métier ?
– Oui (sans hésiter).
– (Maria) Mais tu sais lire les prénoms des GS ?
– Oui (sans hésiter).
– (Maria) Maîtresse, c’est vrai ?
– (Moi) En fait, je ne sais pas exactement. Bruce sait lire des prénoms mais je ne sais pas s’il sait lire tous les prénoms des GS.
– (Arthur) Moi, je sais.
– (Bruce) Mais c’est moi qu’a l’idée du métier.
– (Moi) Je propose que d’ici le prochain conseil, nous voyons qui sait lire les prénoms des GS.
– (Bruce) J’ai le métier ?
– (Moi) Pas encore. Pour l’instant, je garde le métier. Je vais vérifier que tu sais lire tous les prénoms de la classe. Je propose cet après-midi. Tous ceux qui veulent savoir s’ils savent lire les prénoms de la classe pourront aussi passer le test.
L’après-midi, j’organise le test. Nous sommes tous réunis au coin regroupement.
– Qui veut essayer de lire les prénoms des GS ?
Tous les doigts se lèvent : même les élèves de MS veulent essayer. J’inscris tous les noms au tableau et j’appelle les élèves un par un. Les autres jouent : enfin … ils regardent attentivement comment cela se passe. 🙂
Bruce se trompe sur quatre prénoms « qui se ressemblent » : Martin / Marina ; Julien/Julie. Je sens que nous allons vers un problème au conseil. Bruce doit le sentir. Quand je lui dis qu’il a lu Martin pour Marina et Julien pour Julie, la réaction ne se fait pas attendre :
– Je m’entraîne jusqu’au prochain conseil. Maîtresse, tu me les referas lire ?
Je ne puis dire que oui. Deux constats : Bruce veut vraiment le métier, Bruce va s’entrainer, selon ses propres mots. Il est bien dans les apprentissages. Et il sait à quoi cela va lui servir de savoir lire les prénoms des autres.
Le matin, au moment de l’accueil, j’observe Bruce : il regarde qui met son étiquette. Ses yeux vont de l’enfant à l’étiquette. Quel(s) indice(s) prend-il pour s’y retrouver entre Martin/Marina, Julien/Julie ? Je vais lui poser la question, il répond : je m’entraîne. Et visiblement, je le dérange ! Je travaillerai l’affaire une autre fois !
L’après-midi, Bruce vient me trouver pour que je lui fasse lire les étiquettes des cahiers.
– (Moi) Es-tu sûr de savoir lire tous les prénoms des GS ? Je ne vais pas te faire passer le test tous les après-midis.
– (Bruce, pas content, à la limite de crier) Je vais encore m’entraîner.
– (Moi) le conseil a lieu mardi. Je te propose de passer le test lundi après-midi. Je le note sur l’emploi du temps avec un post-it.
Le lundi après-midi, je fais passer le test à Bruce, ainsi qu’à deux autres élèves de GS qui pensent être prêts. Bruce réussit à lire les douze prénoms des GS. Je pense alors aux paroles de Catherine Pochet :
« L’école est obligatoire : la présence physique des enfants n’a pas de signification particulière. Combien sont vraiment là avec leur désir ? Il suffirait d’ouvrir les classes pour être renseigné. Or rien ne se fait sans désir. Ils n’entreront en classe que lorsqu’ils sauront sur quel pied danser, quand ils sauront ce que les autres attendent d’eux (rôles) et ce qu’ils sont en droit d’attendre des autres (statuts). Quand ils auront une fonction définie, une responsabilité, peut-être se sentiront-ils membres d’un groupe. Alors, et alors seulement, on pourra parler de groupe coopératif. »
Bruce aura le métier.
Bruce, cette semaine-là demandera que j’inscrive deux réussites dans son cahier de réussites :
• Je sais lire les prénoms des GS.
• J’ai le métier des cahiers d’écriture.
Pas de surprise !
Les enfants demandent presque systématiquement de noter leur(s) métier(s) dans le cahier de réussites. Une page y est consacrée. Au fil de l’année, on voit les changements de métiers.
Le cahier de réussites matérialise les progrès, les réussites de chaque enfant,
uniquement les réussites, les progrès, les nouveaux apprentissages. Je cherche à savoir si l’enfant progresse et à mettre en évidence ces progrès. Que l’enfant puisse dire : « avant je ne savais pas … maintenant, je réussis. », « avant je ne savais pas, maintenant, j’ai appris que …. ». Lors des activités, de la vie de la classe, l’erreur ou l’essai ne sont pas connotés de manière négative. L’erreur est parlée. Nous cherchons à la comprendre. Elle permet à chaque enfant de voir où il peut progresser, quel est le chemin qui lui reste à parcourir. C’est une personnalisation du parcours de chacun. Il s’agit de mettre en valeur les progrès et de créer une dynamique : agir, réussir, essayer de comprendre pourquoi on a réussi et envisager la prochaine étape. La valeur est partout.
Chaque enfant se voit grandir. Chaque cahier est individuel, différent et se construit au fil de l’année en partenariat avec l’enfant. Au départ, le cahier est vierge, les pages entièrement blanches.
Le cahier de réussites permet de visualiser, concrétiser un parcours, un chemin, non tracé à l’avance. Cela fait dix ans que je mets en place le cahier de réussites.
Cette expérience est racontée dans L’entrée dans la réussite. Le cahier de réussites, Editions RoPi, 2014.
Si vous souhaitez acheter ce livre, il est à 23 euros.
Voir la boutique 🙂
Avez-vous déjà essayé ? Quelle forme d’évaluation utilisez-vous ? Dans quel but ?
Si l’article peut aider des collègues, n’hésitez pas à le partager. Merci !
En complément, la conférence de Roland Gori sur l’évaluation : ICI
(si vous ne pouvez pas tout écouter, prenez la conférence à partir de la 40e minute)
Bonsoir Isabelle,
Merci pour ce partage d’expérience qui permet d’instaurer l’évaluation positive dès la maternelle et ainsi permettre le développement d’une bonne estime de chaque élève.
Merci Jean-Philippe 🙂 Bonne estime de soi, confiance en soi, on sait maintenant que c’est essentiel pour un bon développement de l’enfant. Mais ce n’est pas toujours simple de mettre en place des outils que ce soit à la maison ou à l’école.