Institutrice (professeure des écoles) depuis plus de 30 ans, j’ai été et je suis toujours confontrée à la violence des petits et des grands, même en pratiquant une pédagogie positive, une pédagogie coopérative. J’ai toujours été frappée de voir la différence entre les règles à la maison et celles de l’école. Il y a quelques années, j’ai découvert le livre de D. Marcelli La violence chez les tout-petits que je n’ai cessé de conseiller aux parents et aux enseignants.
Daniel Marcelli est psychiatre et travaille auprès des enfants et adolescents depuis plus de 30 ans. Dans une première partie, il analyse ce qu’est la violence chez les tout-petits (stade de l’opposition, caprice) et comment les parents y réagissent (ils déplorent le phénonmène de l’enfant-roi). Dans une deuxième partie, il montre pourquoi certains petits ont tant de difficultés à l’entrée à l’école : dans ce nouveau monde, il n’est plus au centre.
Première partie : avant d’arriver à l’école
La naissance de l’opposition
L’enfant commence à s’opposer autour de l’âge de 16 mois jusqu’à environ 3 ans et demi : c’est un grand changement puisque jusqu’alors, il semblait toujours d’accord avec ses parents. Jusque-là c’étaient plutôt les parents qui disaient “non” quand le petit a commencé à se déplacer et à découvrir le monde, à toucher à tout.
L’enfant va avoir deux “non” successifs. Le premier est un “non” d’oppsition général à toute demande de l’adulte. Le deuxième “non” correspond à la forme négative et porte sur une absence (“pas chat” dans le jardin aujourd’hui) ou sur un refus de faire quelque chose de précis : le petit met de la distance avec le présent, il entre dans l’abstraction, il s’affirme et devient actif.
Lorsque les parents interdisent à l’enfant une action dangereuse (secouer un parasol par exemple), ils doivent parler l’interdit (souvent plusieurs fois car l’enfant va réessayer). Ainsi le petit intériorise l’interdit.
L’irruption du caprice
Le caprice est une action ponctuelle et ne définit pas l’enfant (capricieux) mais seulement un moment quelconque dans la journée, moment non prévisible. Marcelli prend l’exemple d’un enfant qui est au parc avec son père et qui ne veut pas rentrer à la maison lorsque l’adulte lui demande. Le caprice contient une certaine violence : l’enfant découvre qu’il a un certain pouvoir. S’il n’obéit pas, son père vient le chercher… Comme on dit “il peut le faire marcher”. Le père bien sûr constate ce nouveau pouvoir et ce moment d’opposition avec son fils est désagréable : il sent qu’il doit faire preuve de fermeté. Le petit va se souvenir que, par une attitude spéciale (hurler, se débrattre, …), il a eu un certain pouvoir. Par la suite, il ne va pas hésiter à exagérer cette attitude jusqu’à la “rage”: l’enfant de 2 ou 3 ans n’arrive pas encore à mettre de la distance avec le langage, il est toujours commandé par ses pulsions. Cette période est difficile à traverser pour les parents car ils doivent maintenir l’opposition à l’opposition de leur enfant sinon les situations capricieuses vont être plus fréquentes, plus violentes et immotivées. Pour éviter que cela ne dégénère, des interdits structurants, cadrants, parlés sont nécessaires.
Comment faire ?
Les enfants cherchent inconsciemment des limites. Ces limites commencent à être posées à partir de 10-12 mois quand l’enfant commence à se déplacer, à faire l’expérience de l’espace de la maison. Une limite est d’abord un acte de parole que l’enfant va au fil du temps intérioriser. Si la limite n’est pas dite, comment l’enfant peut-il savoir qu’elle existe, comment cette limite peut-elle prendre sens ? Le petit sera à terme rassuré par des limites durables, cohérentes qui ne changent pas d’un jour à l’autre.
Le parent, face au caprice, ne doit pas être au diapason de la colère du petit. Bien au contraire, il doit réussir à se contenir émotionnellement, à s’exprimer calmement.
Mais qu’est-ce qui empêche d’interdire ?
Plusieurs explications possibles
Depuis les années 60, les formes de vie familiale ont beaucoup changé. Les séparations de parents puis remariages peuvent parfois rendre difficile l’éducation aux règles. Une “éducation par la séduction” est apparue : les parents, culpabilisés ne veulent pas s’opposer aux refus de l’enfant. Cette éducation se rencontre aussi dans des familles unies : le parent, fatigué par son propre rythme de vie, par la pression professionnelle, séduit l’enfant pour tenter de le faire obéir, “allez, fais-moi plaisir!”.
Depuis les années 80, où l’on a réalisé que “le bébé est une personne”, les parents sont parfois réduits à des observateurs du développement du petit qui aurait déjà tout son potentiel à la naissance. L’enfant a “du caractère”, valorisé positivement par les parents… Comment alors limiter la toute-puissance du petit s’il ne fait qu’exprimer son “caractère” en faisant une “crise” ? A l’excès des interdits (années avant 1960) succède l’excès d’autorisations.
Deuxième partie : à l’école maternelle
Une pièce où arrivent 25 enfants-dieux
Les enfants qui ont grandi dans un univers aux valeurs éducatives fluctuantes, parfois contradictoires ont du mal à s’adapter aux règles de l’école. D’autre part, admiré par son entourage, il a du mal en collectivité au milieu de 25 enfants, parfois plus.
Comment le petit va-t-il réussir à écouter la maîtresse s’il est habitué à discuter les décisions parentales ?
Marcelli nous rapporte un sondage assez curieux : plus de la moitié des parents déplorent que les enseignants n’aient pas d’autorité et plus de la moitié des enseignants déplorent que les parents n’enseignent pas les bases du savoir-vivre à leurs enfants.
L’école maternelle constitue le premier lieu complexe, organisé, pour un enfant de 2 ou 3 ans, même pour ceux qui ont fréquenté la crêche. Mais c’est aussi ce nouveau milieu qui va permettre à l’enfant de découvrir de nouvelles choses, de faire de nouvelles expériences et de développer de nouvelles forces, comme le héros des contes, le petit poucet par exemple, qui va parcourir un long chemin pour réussir finalement toutes les épreuves. Cela ne se fait jamais d’un coup de baguette magique.
Autonomie ?
La tendance actuelle est de penser que les futures qualités de l’enfant sont innées et qu’il doit donc se développer d’une manière autonome. Un des objectifs de l’école maternelle est que l’enfant devienne autonome … Mais ce n’est pas la même autonomie que celle prônée par les parents …
Où sont les interdits dans l’école ?
La vie en classe peut vite devenir un chaos (croyez-en mon expérience d’institutrice) si la classe n’a pas de règles et si le groupe a dû mal à se constituer. Les interdits contiennent et permettent la vie de la classe, les expériences de chacun. Le groupe est un médiateur, voire un pacificateur par lequel le rappel des interdits ne prend pas l’allure d’un duel comme parfois à la maison. Les règles construites avec les enfants prennent sens. Bien sûr l’adulte reste responsable de la classe et certaines lois doivent être imposées et expliquées (ne pas se battre par exemple).
Avis sur le livre
J’aime beaucoup ce livre qui regorge d’exemples. Il est très clair et la théorie est expliquée à partir de situations concrètes.
Je trouve que la partie sur l’école aurait méritée plus de nuances. Mais elle a le mérite de poser un problème bien réel : la continuité de l’éducation aux règles entre la maison et l’école et de bien mettre en valeur l’importance du groupe, souvent oublié dans des pédagogie centrées uniquement sur l’enfant. La classe est une petite société : on ne peut ignorer les conflits, les jalousies. Tenir compte du singulier de chacun et du groupe, voilà l’ambition de certaines pédagogies comme la pédagogie Freinet ou la pédagogie institutionnelle.
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bonjour Isabelle
Un grand merci pour ton article.
J’apprécie beaucoup ta vision d’institutrice sur cette violence que peut ressentir l’enfant.
Je te remercie pour avoir présenté ce livre que je ne connaissais pas : c’est un cadeau que je reçois. Je le note de suite parmi les livres à lire 🙂
Au plaisir
Evan