L’estime de soi, la bienveillance, le sujet est, en France plus qu’à la mode… Au Canada, cela fait bien longtemps qu’on y travaille. J’ai découvert sur le net une étude (de 1996) qui cherchait à savoir si le conte pouvait développer l’estime de soi. (réf. En fin d’article). Je vous en fais un résumé commenté 🙂
Le manque de confiance, dû souvent à un manque d’estime de soi, est problématique dans les apprentissages, dans la réussite de l’élève. Toutes sortes d’hypothèses sont lancées sur les causes du manque d’estime de soi.
Plusieurs spécialistes de littérature de jeunesse ont lancé l’idée que les contes et la littérature de jeunesse favoriseraient le développement positif de la personnalité de l’enfant. (Voir les travaux de Duborgel, Guérette, Jan et Loiseau). Des psychologues, des psychiatres, des psychanlystes ont aussi utilisé les contes pour aider leur patient. (Voir les travaux de Winnicott, Catherine Picard, Marthe Barraco de Pinto, Odile Carré et bien d’autres).
Le conte enrichit les expériences de l’enfant et contribue au développement de son sens critique.Le conte permet l’identification de l’enfant aux personnages. Être un autre à travers un personnage permet de se penser, d’avoir une meilleure connaissance des différents aspects de sa personnalité et de projeter ses désirs, de se construire, de s’inventer, de favoriser ainsi l’estime de soi.
D’abord comment définir l’estime de soi ?
Paradis et Vitaro parlent de regard global sur soi : chacun juge de sa valeur en tant que personne. Pour porter ce jugement, l’enfant doit d’abord acquérir une connaissance de ses caractéristiques personnelles. Lawrence (qui s’est intéressé à l’estime de soi à l’école) définit l’estime de soi comme étant l’évaluation individuelle de la divergence entre l’image de soi et le soi idéal. L’enfant doit être capable d’établir une comparaison entre ce qu’il est et ce qu’il souhaiterait être. Ceci globalement mais aussi sur des situations particulières.
Mais comment aider l’enfant à mieux se connaître ? Comment pourra-t-il avoir un regard positif sur lui, sur ces compétences ?
L’importance de raconter des contes aux enfants
Une des raisons est que le conte a un effet sur le développement affectif et psychologiquede l’enfant.
Le héros du conte est souvent un petit, un faible et il a un gros problème. Les personnages portent en eux les qualités et les défauts des humains mais l’enfant y reconnait de suite le bon, le méchant. L’enfant qui s’identifie à un personnage peut consciemment ou inconsciemment « voir » ses problèmes et peut avoir plus de facilité à s’en dégager (ATTENTION !! Pas de miracle attendu du style : je lis un conte pour x et son problème va disparaitre. C’est beaucoup plus subtil que cela, cela se joue dans l’intime de chacun et c’est souvent l’inconscient qui va travailler). Le contexte du conte peut permet une objectivation : le héros trouve des solutions comme l’enfant pourrait en trouver pour ses propres difficultés. Pour cela, il va traverser des épreuves. (J’ai développé dans un précédent article les raisons de raconter des contes aux enfants. Cliquez ici)
Selon Bettelheim, l’enfant peut se permettre de s’identifier au héros du début de l’histoire quand il sait que ce héros a triomphé. L’enfant pourra penser que la mauvaise opinion qu’il a de lui même est fausse. C’est la raison pour laquelle, le conte pourrait favoriser le développement de son estime de soi.
Le conte permet-il de développer l’estime de soi ?
C’est ce que défend Sylvie ROBERGEBLANCHET, conseillère en littérature d’enfance et de jeunesse au Canada. Je vous présente ici sa démarche. Elle a travaillé avec 40 enfants de 8 à 9 ans. 20 enfants dans un groupe qui ont suivi l’expérience (lecture de contes et activités pédagogiques en lien), 20 enfants dans un groupe de contrôle qui n’ont pas suivi l’expérience.
Ses hypothèses
Les enfants de 8 et 9 ans à qui on aura présenté des contes développeront
- davantage leur image de soi
- davantage leur soi idéal
- atteindront un niveau plus élevé d’estime de soi
L’expérience
L’expérience consistait à lire ou à raconter huit contes. Chaque récit était suivi d’une activité pédagogique permettant d’exploiter certains éléments constitutifs du conte en lien avec la recherche. Cela a duré 8 semaines, au rythme d’une fois par semaine.
Le questionnaire SelfPerception Profile for Children (SPPC), a été retenu afin de mesurer les variables dépendantes de l’image de soi et de l’estime de soi. Les 40 enfants ont été interrogés individuellement.
Un questionnaire sur mesure a été élaboré pour mesurer leur soi idéal.
Les enseignantes des deux classes ont complété un questionnaire (avant et après l’expérimentation) à propos de l’attitude et du comportement des élèves en classe, en dehors des étapes de l’expérimentation, afin de comparer ces informations avec les données recueillies par les autres questionnaires.
Pour sélectionner les contes, une grille d’analyse personnelle a été conçue. Je vous le recopie ci-dessous car je pense qu’elle peut nous être utile en classe pour analyser les contes que l’on souhaite lire à nos élèves.
Grille d’analyse des contes |
a. Questions d’ordre général
b. Le contenu
c. L’illustration
d. L’image de soi
e. Le soi idéal
f. L’estime de soi
g. Les domaines de compétences
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La sélection des contes
Contes traditionnels retenus :
Le vaillant petit tailleur de Jacob et Wilhelm Grimm
Riquet à la Houppe de Charles Perrault,
L’enfant qui dessinait les chats (conte traditionnel japonais raconté par Arthur A. Levine)
Albums de contes modernes retenus:
Les cinq affreux de Wolf Erlbruch
Le tunnel de Anthony Browne
Malika et le Chat Borgne de Antoine Sabbagh
Contes modernes retenus :
L’ombre de Plume de Nicole Schneegans
Le prince des voleurs de Jennifer Dalrymple
Les résultats
L’analyse globale des résultats a montré que le développement de l’image de soi des sujets du groupe expérimental et des sujets du groupe de contrôle était comparable, au pré-test et au post-test.
Toutefois, cette similitude ne s’est pas retrouvée lorsque ces résultats ont été comparés avec les données recueillies par le questionnaire Lawrence, complété par les enseignantes avant le début de l’expérimentation et après celle-ci.
Les enfants à qui les récits de contes avaient été présentés paraissaient manifester une plus grande confiance en eux-mêmes en classe, tandis que les enfants du groupe de contrôle semblaient moins confiants.
L’analyse des résultats obtenus par ces derniers a révélé que tous les élèves dont l’attitude ou le comportement s’étaient améliorés en classe,à la suite des récits de contes, avaient connu également une augmentation de leurs résultats dans un ou plusieurs des domaines de compétences évalués (compétences cognitives, sociales, athlétiques, physiques, conduite).
Ces résultats corroborent la première hypothèse de recherche selon laquelle les enfants à qui on aura présenté plusieurs récits de contes développeront davantage leur image de soi.
Pour la seconde hypothèse, selon laquelle les enfants à qui on aura présenté plusieurs récits de contes développeront davantage leur soi idéal : 90 % des enfants de l’étude avaient une idée suffisamment précise de ce qu’ils aimeraient être, et par conséquent, il n’a pas été possible de porter un jugement sur la divergence entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils souhaitaient devenir. En outre, même si les données recueillies par les questions de la mise en situation n’appuient pas l’hypothèse de départ, elles n’indiquent pas non plus le contraire.
Finalement, les résultats obtenus ont permis de déduire que les contes ont contribué, dans une certaine mesure, au développement positif de l’estime de soi.
L’auteure de cette étude indique la limite de cette étudequi n’a pas permis aux enfants d’écouter les contes plusieurs fois. Selon Bettelheim, pour que l’enfant puisse croire en une histoire, pour qu’il puisse intégrer dans sa propre expérience du monde son aspect optimiste, il doit l’écouter plus d’une fois. Il ajoute aussi que l’enfant sent, parmi toutes les histoires qu’il entend, celles qui sont vraies pour sa situation intérieure du moment. Mais il est rare que cette prise de conscience soit immédiate, qu’elle survienne dès la première audition du conte.
La conclusion de Sylvie ROBERGEBLANCHET
À la maison comme à l’école, parents, enseignantes et enseignants souhaitent que les enfants développent une estime de soi positive. Toutefois, ils se sentent souvent démunis quant aux interventions possibles dans ce domaine. Le récit de conte est l’occasion privilégiée de créer un moment d’intimité avec l’enfant. Par ailleurs, l’exploitation de l’album de conte, dans la perspective abordée par cette étude, pourrait être proposée dans d’autres milieux éducatifs, à la bibliothèque ou à la garderie par exemple, afin de fournir aux enfants plusieurs modèles d’identification dans différents domaines de compétences.
Si vous souhaitez lire l’étude complète, voici le lien : https://www.acelf.ca/c/revue/revuehtml/24-12/blanchet.html
Ma conclusion
J’ai toujours lu des contes aux élèves (élémentaire, maternelle) et fait un travail pédagogique autour. Depuis 10 ans, j’ai développé les contes en sac en maternelle. Depuis 30 ans, j’utilise le tarot-conte.
Personnellement, j’assiste régulièrement à des spectacles de conte. Le conte n’est pas réservé à l’enfant 🙂
Ce que j’ai observé, senti c’est que le conte ne laisse jamais indifférent les enfants. Quelque chose d’indicible, parfois, bouge. Le bémol que l’auteur indique est important :il faut en effet lire et relire les contes aux enfants (ils le demandent d’ailleurs et chacun a ses préférés).
Je regrette que l’auteur n’ait pas fait mention des différentes études et monographies de psychologues, des psychiatres, des psychanalystesqui ont utilisés les contes pour aider leurs patients. L’auteur mentionne cependant Bettelheim (maintenant critiqué sur certains points). Ces spécialistes disent la subtilité, le temps qu’il faut pour que des situations évoluent. Dans les contes, la magie est présente mais l’utilisation du conte n’est pas magique. Je lis un conte et hop, tout est résolu. Non ! Mais vous vous en doutez 🙂
Je laisse la parole à Gigi Bigot, cette grande conteuse pour enfants et adultes, qui a travaillé avec des enfants psychotiques, autistes, caractériels, présentant des troubles d’identité.
« Le conte est utilisé comme médiation : les enfants en souffrance psychique, arrivent, grâce aux images symboliques du conte, à reconnaitre leurs angoisses comme quelque chose appartenant à l’universel et à les apprivoiser, sinon à les dépasser. De même que nos rêves nous renseignent sur notre monde intérieur, les contes traditionnels qui nous parlent, nous libèrent et nous font grandir. »
Dans ce cas, l’estime de soi est forcément développée. 🙂 Vous ne pensez pas ?
Info : je ferai bientôt un article sur le dernier Livre de Gigi Bigot Marchande d’étoiles.
Remarque : je sais que cette étude était peut-être un peu rébarbative (une fois n’est pas coutume) mais c’est toujours intéressant de voir ce que les universitaires étudient. Je n’ai pas trouvé d’études plus récentes sur le conte et l’estime de soi. Si jamais vous en connaissez, merci de me les indiquer dans les commentaires. Et merci de partager si vous pensez que cela peut intéresser un-e collègue.