Donneur de leçons s’abstenir

la monnaieTransgressions des règles, des lois de la classe : que faire ?

Un des problèmes numéro 1 de la classe est la transgression de régles, de lois. Que faire, comment réagir quand un enfant gêne continuellement ? Gêner, c’est parler sans demander la parole, c’est se moquer, c’est prendre le crayon du voisin, c’est se bagarrer, c’est faire du bruit avec sa règle, c’est … compléter la phrase à votre guise.

Quels outils, quelles sanctions en cas de transgression des règles ? Je ne parle pas de punition !! Il s’agit de signifier à l’enfant que son comportement ne va pas, de lui faire signe. L’enseignant a beau dire « STOP », les petits ou les grands ne s’arrêtent pas et font « tourner bourrique » la maîtresse (et l’ATSEM en maternelle). Les lignes, le coin, chacun sait que c’est (la plupart du temps) inefficace (à long terme). Trouver autre chose ! Mettre à distance. Trouver une sanction qui respecte l’individu, qui fasse signe. Fernand Oury a inventé la monnaie. Je l’ai utilisée en élémentaire et en maternelle. Et j’avoue: quand on m’en a parlé, je n’ai pas hésité. Ce fut radical, efficace même si ce n’est pas magique. Attention la monnaie fait partie d’un ensemble. Mettre la monnaie sans production (un journal ou/et des albums ou/et la correspondance), sans responsabilité des élèves (les métiers), sans conseil (lieu de décisions) est vouée à l’échec. C’est pour cela que j’ai tant tardé à en parler sur le blog.

La monnaie : répondre sur le plan symbolique, humaniser

Le groupe, la classe est un milieu de langage, d’échanges et d’échanges réciproques. Echanges de services, échanges matériels, affectifs, intellectuels, échanges réels parce que réciproques. Chacun donne et reçoit quand la communication est établie, quand chacun a renoncé à ses défenses (en particulier à la hiérarchie préétablie). Ainsi s’établit un réseau complexe de relations entre individus distincts et reconnus différents les uns des autres, entre des personnes toutes dignes de respect.” (Oury F., Vasquez A., (1971), de la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, p. 369-378)

La monnaie fait partie de ces échanges et n’est qu’un des éléments de l’atomium, une médiation parmi d’autres, du symbolique. Je répète: la monnaie sans ceinture de niveaux d’apprentissage, de comportement, sans conseil, sans tous les lieux d’existence et de parole, sans le marché, risque d’être pervertie.

La monnaie n’est qu’un outil institutionnel qui ne sert pas uniquement à apprendre à compter, comme je le dis parfois aux parents. Elle sert aussi à « assainir » les relations entre les individus, à interrompre, à se dégager d’une relation duelle, à permettre qu’on « n’en vienne pas aux mains ».

S’il te plaît !… Arrête ! … Tu nous gênes !… L’amende remplace aussi ces remarques répétitives, empreintes de reproches et qui débouchent sur une sanction disproportionnée par l’exaspération. Elle capte les agressivités et permet de continuer le travail sans émotions inutiles. (Laffitte R., (2000), Mémento de pédagogie institutionnelle, p. 252, 253)

La monnaie n’est pas l’argent-cadeau donné parfois aux enfants. « Le cadeau, signe de puissance du donataire, scelle par la reconnaissance l’aliénation du récepteur.» (Laffite R., (2000), Une journée dans une classe coopérative, p. 84) Il s’agit de vraie monnaie, ayant cours sur le territoire de la classe.

« Convient-il que des innocents manipulent ainsi… de la monnaie, donc du pouvoir ? […] Nous avons enfreint le tabou. Toute justification aggraverait notre cas. » (Pochet C., Oury, F., (1979), Qui c’est l’conseil ?, p. 52)

Comme toute autre institution, elle permet parfois de déclencher le désir. Je l’ai déjà utilisée en élémentaire et à la maternelle. Je vous relate mon expérience en maternelle (car je suis en maternelle en ce moment). Vous pouvez tranposer aisément pour les enfants d’élémentaire jusqu’à 12 ans. Je n’ai pas d’expérience pour des élèves plus âgés (mais certains ont essayé au collège).

La monnaie : récit d’expérience

L’unité est le point. Il n’est ni bon, ni mauvais.

Concrètement :

  • Le point est un carré de carton de deux cm de côté ; côté recto, le nombre 1, côté verso une gommette noire.
  • Il existe des multiples. En début d’année, seulement le billet de 2 est en circulation. Les multiples de 5 et 10 apparaissent au fil des mois. Une séance d’échange a lieu chaque semaine, la veille du marché.

Sont payés

Tous les travaux et activités qui demandent un effort : travail scolaire écrit, participation orale à un atelier, à une séance de travail oral (mise au point de texte, présentation de lecture, travail de lecture, de mathématique). Est aussi payé le travail qui paraît ressembler à un jeu mais qui souvent ne l’est pas : puzzle, jeu dirigé avec consigne (« construire une voiture en légo® » : l’enfant ne joue pas aux légos® comme il voudrait).

Là s’arrête la comparaison avec notre société car la paye se fait selon certains critères.

L’égalité, ici, serait une injustice. Du fait de l’hétérogénéité des niveaux de compétence, les capacités de production sont très diverses. Il suffirait de payer égalitairement les productions pour que les plus forts en quelque chose deviennent les plus riches, maîtres du marché, maîtres de la classe : un milliardaire se moque des contraventions. Si la monnaie a pour premier effet d’accentuer les inégalités, j’en vois mal l’utilité.” (Laffitte R., ibidem, p.86)

Ce qui est payé, c’est l’effort quand il s’agit d’un apprentissage et le résultat quand il s’agit d’un entraînement.

Je paie après chaque activité. C’est très rapide : j’ai des points dans la poche, je donne les points quand le travail est terminé. L’activité est payée deux points. Les enfants savent que c’est le tarif pour un travail. Je peux éventuellement ne payer qu’un point si j’estime que le travail devrait être mieux réussi. Les enfants vont ranger aussitôt leurs points dans leur boîte à trésors (boîte à chaussures : certains ont des porte-monnaie dans leur boîte, d’autres mettent leurs points pêle-mêle).

Ne sont pas payés

Les jeux libres, l’art, le sport, les métiers ne sont pas payés.

Les textes libres, les paroles dans un quoi de neuf, les objets apportés à la table d’exposition, les lettres de la correspondance ne sont pas non plus payés et pourraient rentrer dans la catégorie des choses qui sont inaliénables et inaliénées selon Godelier :

Des choses que l’on ne peut ni vendre, ni acheter, ni donner ; des choses que l’on garde mais qui n’empêche pas de faire bénéficier ceux qui ne les possèdent pas des bienfaits que ces objets dispensent.”(Godelier, (2010), Article Don p.782 dans Bonte P., Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie. PUF.)

Le texte libre élu est une reconnaissance de l’enfant comme auteur. Le texte, mis au point collectivement, restera son texte. Il servira à chacun à apprendre à lire et à écrire et deviendra ainsi culture du groupe et richesse du groupe. Au quoi de neuf, ce qui est échangé, ce sont les paroles singulières des individus, l’écoute de chacun.

Les amendes pour gêneur ou pour manquement à une règle

À une transgression de règle (décidée en commun) correspond une amende. Elle est payée immédiatement en maternelle quand le manquement à une règle est flagrant afin que l’enfant réalise ce qui se passe. Elle peut être différée en primaire, inscrite sur une fiche « paie/amende ». L’amende peut toujours être rediscutée au conseil.

Des conflits arrivent au conseil et peuvent ainsi être réglés sans rentrer dans d’interminables discussions.

Si je suis “petit dans ma tête”, je peux piailler, trépigner, casser du matériel, dire NON mais j’aurai à en rendre compte au conseil, qui pourra sans doute comprendre mais certainement pas excuser si je ne fais pas amende honorable ou, à minima, ne paie pas ma dette. Il y a là une butée inébranlable. Je ne peux pas faire ce que je veux sous prétexte que c’est mon bon plaisir.

Le marché

Être payé sans possibilité de dépenser à sa guise n’aurait pas de sens. Un marché a lieu chaque semaine, le vendredi après-midi, avant la récréation, pendant dix minutes (compter dix minutes d’installation). Jusqu’à la fin du mois de décembre, seules l’ATSEM et la maîtresse ouvrent une boutique. Les enfants achètent ce qu’ils veulent. À partir de janvier, les enfants peuvent ouvrir leur boutique. La vente est limitée à cinq objets. Je vérifie qu’il n’y a aucun objet de valeur à vendre. J’ai parlé du marché à la réunion de parents en septembre. En janvier, les parents sont habitués à cette institution. Certains aident leurs enfants à mettre de côté des petits objets pour le marché. Parfois, les parents veulent en profiter pour se débarrasser de babioles : ils en donnent un certain nombre à leur enfant (qui n’en expose que cinq à chaque marché) et souvent ils en donnent à la maîtresse qui peut ainsi avoir une boutique bien approvisionnée toute l’année.

Au bout de dix minutes, le marché est terminé. Les enfants déposent alors dans leur boîte leurs achats ou les objets qui restent.

Conclusion

La monnaie n’a rien de miraculeux. Certes, les enfants aiment bien gagner des points et ne sont pas contents quand ils paient des amendes. C’est aidant. Je doute par contre que seule la monnaie réussirait à les faire grandir. Ce n’est qu’une médiation, une institution parmi d’autres, qui ne peut exister sans conseil où la loi se fait pour tous. Et …

“Un conseil de coopérative suppose des activités coopératives, la correspondance, le journal, le texte libre, les enquêtes, les réunions (parole libre, organisation, décisions)… constituent un ensemble indissociable d’éléments articulés, liés dialectiquement, chacun étant cause et effet, non seulement de chacun des autres mais aussi de l’ensemble, du complexe. » (Pochet C., Oury F., (1979), Qui c’est le conseil ?, p.429)

Il y a encore BEAUCOUP à dire sur la monnaie mais je vous laisse digérer ce premier article et conclus avec René Laffitte (Une journée dans une classe coopérative, p. 91 ):

Nous n’avons ni l’espoir, ni l’intention de convaincre qui que ce soit : toute discussion dans un tel domaine est impie, donc inutile. Une étude sérieuse des effets de l’argent dans la classe coopérative reste à faire : ce n’est pas le lieu.”

ET VOUS ?

Comment faites-vous quand un enfant transgresse une règle ou une loi ? Indiquez dans les commentaires vos solutions. Je ne prétends pas (comme d’habitude) détenir LA solution.

Surtout n’oubliez pas de partager cet article qui va m’attirer des foudres de guerre. 🙂

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9 commentaires sur “Donneur de leçons s’abstenir

  1. Je ne suis pas d’accord en ce qui concerne la monnaie. Bien que tu t’en défendes, il est absolument évident pour tout le monde qu’une monnaie donnée à un élève pour son travail ou son comportement est l’équivalent exact d’un salaire.
    D’ailleurs tu parles toi-même de paye, donc il n’y a aucune ambiguïté.

    Mais c’est inverser la logique ! Car dans une relation élève-professeur, c’est l’élève qui paye le professeur pour pouvoir bénéficier de son enseignement, et non pas l’inverse !
    En payant l’élève, on lui envoie le message implicite qu’il est client, et que l’enseignant est donc son employé, à son service.

    De plus, transformer les élèves en acheteurs et vendeurs est une ouverture à la société capitaliste qui me semble très malsaine.
    Si on veut une classe coopérative (et il me semble que c’est pourtant de ce modèle que s’est inspiré Oury), alors c’est l’inverse qu’on doit valoriser : la coopération, l’entraide, le respect de chacun, et non pas l’argent et le pouvoir qu’il donne lorsqu’on en gagne plus que les autres.

    1. Bonjour Dr. House,

      Je ne sais pas quel métier vous faites 🙂
      Aucune problème que vous ne soyez pas d’accord avec la monnaie. C’est vrai que j’enfreins un tabou.
      Vous êtes payé pour travailler ?
      Comme disait Fernand Oury avec qui j’ai travaillé et qui est l’inventeur de cet outil, la monnaie, seuls les esclaves, les femmes au foyer et les enfants ne sont pas payés pour leur travail.
      La monnaie n’empêche absolument pas la coopération 🙂 , l’entraide, le respect de chacun.
      Elle ne donne aucun pouvoir dans la classe.
      C’est vrai que d’apprendre et de donner à comprendre les phénomènes monétaires aux enfants, les mêmes que dans la société, inflation, perte, thésaurisation, vol, etc …, c’est subversif 🙂
      Mon article est seulement un témoignage de pratique, rien d’autre 🙂

  2. Je ne suis pas d’accord avec Oury qui, à mon sens, n’a pas trouvé le moyen de permettre aux élèves de prendre conscience de la qualité non financière de l’existence. Certes, on est payé pour notre travail. Mais la gratuité se perd malheureusement, on doit laisser aux enfants le temps d’entrer dans ce monde financier. On DOIT les en PROTEGER. Je suis enseignant et je trouve ce système dangereusement cynique.

    1. Tout n’est pas payé dans la classe 🙂 ce système est dangereux s‘il est détourné, perverti de même que le conseil (qui peut devenir entre autre un tribunal), le choix de texte (qui peut devenir le choix du meilleur texte par l’enseignant) … J’ai vu dans des classes « traditionnelles » des moqueries, des punitions, des élèves dégoutés, des appréciations douteuses, des notes négatives, … J’ai vu tout cela (et plus). J’ai même vu dans des classes Montessori (à la mode) une compétition effrénée … Au sujet de la monnaie, vous pouvez aller lire le texte de René Laffitte dans le Mémento :). La vraie question est : que fait-on quand une loi ou une règle est transgressée? Même dans les classes « modèles », des règles sont transgressées… La lecture du livre Les mouches au sujet de la démocratie enfantine est intéressante.
      PS: je ne fais pas de prosélytisme. Je témoigne d’une pratique (qui fonctionne) mais je sais qu’elle surprend des personnes.

    1. Merci beaucoup pour vos commentaires 🙂 Le dernier me laisse pensive.
      C’est vrai que l’humain, qu’il ait 2 ans, 10 ans, 25, 50 ou 90 ans transgresse les règles et les lois (pour le progrès social ?) : v(i)oler la voisine, boxer (ou tuer) celui qui n’est pas d’accord avec lui, passer au feu rouge, se moquer du faible, du gros, de l’handicapé, …

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